Il arrive que certaines douleurs que nous portons ne nous appartiennent pas entièrement. Une angoisse diffuse, une peur de l’abandon, une honte persistante, une tristesse qui semble sans cause précise… Ces émotions peuvent parfois être les traces d’un passé que nous n’avons pas vécu directement. On parle alors de trauma intergénérationnel, une transmission silencieuse des blessures psychiques d’une génération à l’autre.
Une souffrance héritée, pas toujours vécue
Le trauma intergénérationnel désigne la transmission inconsciente d’un vécu traumatique d’une génération à une autre. Ce phénomène concerne aujourd’hui de nombreux contextes : guerres, exils, violences familiales, secrets, deuils non faits, honte sociale, ou encore traumatismes liés à la pauvreté ou aux discriminations.
Lorsqu’un parent a vécu un événement douloureux qu’il n’a pas pu symboliser ou mettre en mots, il peut, sans le vouloir, transmettre cette charge émotionnelle à ses enfants. Ce n’est pas le souvenir de l’événement qui se transmet, mais son empreinte affective, comme une mémoire corporelle et émotionnelle qui se dépose dans le lien.
Les mécanismes de la transmission
Cette transmission peut s’opérer de différentes manières.
D’abord, par la relation parent-enfant : un parent blessé, anxieux, ou surprotecteur peut communiquer inconsciemment sa peur du monde, sa méfiance ou son impuissance. L’enfant s’imprègne alors de ces affects et les intègre comme s’ils étaient les siens.
Il existe aussi une transmission symbolique : à travers les récits familiaux, les silences, les secrets ou les non-dits. L’enfant sent qu’il existe quelque chose de douloureux, mais il n’a pas les mots pour comprendre. Ce vide crée souvent de la confusion, une culpabilité diffuse ou un sentiment d’inachevé.
Enfin, la recherche en épigénétique tend à montrer que certaines traces biologiques du stress ou du traumatisme pourraient influencer l’expression de nos gènes. Sans déterminer notre destin, cela souligne à quel point le corps et la psyché sont intimement liés.
Les signes d’un trauma intergénérationnel
Reconnaître un trauma transmis n’est pas toujours simple. Il ne se manifeste pas par un symptôme unique, mais souvent par un climat intérieur : un sentiment de lourdeur, de répétition ou d’angoisse sans cause apparente.
Parmi les signes les plus fréquents, on observe :
- La répétition de schémas relationnels douloureux (abandon, rejet, emprise, silence).
- Une culpabilité persistante, sans lien clair avec la vie actuelle.
- Une difficulté à se sentir à sa place dans la famille ou dans le monde.
- Une peur diffuse ou une hypervigilance permanente.
- Des rêves ou images intrusives évoquant des situations jamais vécues.
- Le sentiment de porter un fardeau qui ne nous appartient pas.
Souvent, ces vécus se rejouent inconsciemment jusqu’à ce qu’ils puissent être mis en mots, compris et apaisés.
Comment se libérer de ce qui ne nous appartient pas
La thérapie joue ici un rôle essentiel. Elle permet d’explorer ce qui, dans notre histoire, ne vient pas seulement de nous, mais de ceux qui nous ont précédés. Mettre des mots sur les non-dits, retracer les filiations, comprendre les répétitions familiales, donne un sens nouveau à la souffrance.
Certaines approches, comme la thérapie transgénérationnelle, la psychogénéalogie, les constellations familiales ou les thérapies psychodynamiques, visent précisément à identifier ces transmissions inconscientes.
Mais au-delà des outils, c’est avant tout la prise de conscience qui ouvre la voie à une libération intérieure.
Travailler sur le trauma intergénérationnel, c’est réintroduire du sens et du lien là où il y avait du silence. C’est reconnaître ce qui a été vécu, sans jugement, pour ne plus le répéter. C’est enfin se réapproprier son histoire, en y distinguant ce qui nous appartient de ce qui relève du passé des autres.
Retrouver sa propre histoire
Guérir du trauma intergénérationnel, c’est se donner la possibilité de vivre sa vie, et non celle héritée.
C’est pouvoir dire : « Je te reconnais, mais je ne porte plus ton fardeau. »
En rendant à chaque génération ce qui lui appartient, nous rétablissons la continuité psychique, et redonnons à l’histoire familiale sa juste place : celle d’un passé reconnu, mais non déterminant.
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